samedi 17 octobre 2015

Le PRAG détestable


   Bonjour à tous,

   Il est devenu une sorte de jeu que de dresser les portraits anonymes de quelques-uns de mes collègues universitaires, avec cependant – vous n’en doutiez pas – le souci affirmé du plus grand réalisme. Ainsi, tel un panel de notes s’étalant du pitoyable à l’excellent, rencontrons-nous, au sein même d’une Université visant à diffuser l’Excellence, des enseignants aux profils formidablement divers.
   Il me tenait alors à cœur que je vous présentasse un charmant collègue en la personne du PRAG détestable.

   A l’instar de l’Inspecteur Harry, le PRAG détestable exècre tout le monde, sans aucune différence d’âge, de caractère, de sexe, d’orientation, de statut, de diplôme, de nationalité ou de couleur de peau. Le traitement est le même pour tous : après tout, quelles que soient les fioritures sous lesquelles il se pare, un cafard reste un cafard.
   Secrétaires, collègues titulaires ou simples vacataires, conférenciers belges, étatsuniens, penseurs français ou britanniques, étudiants asiatiques, portugais ou africains, et jusqu’au balayeur pakistanais ou turc – peu importe… –, tous bénéficient ainsi d’un agréable surnom, notre PRAG réussissant maintes fois l’exploit de cumuler xénophobie, racisme et misogynie au sein d’une unique expression nominant quelque être absolument insignifiant auprès de ses yeux froids.

   Vous l’avez sans doute deviné, le PRAG détestable méprise tout un chacun, et sa vanité est sans égale.

   La Terre ne mérite pas de porter le PRAG détestable : ce n’est rien de moins qu’un privilège qu’il accorde à celle-ci en daignant, chaque matin, déposer précautionneusement, l’une après l’autre, sur le parking de l’Université, avec l’application lente du gastéropode hautain, la pointe de ses mocassins de cuir, en quittant l’habitacle luxueux de sa Mercedes-Benz toujours impeccablement polie.
   Quant à serrer ensuite une main ou offrir quelque salutation, la tâche apparaît trop ingrate. A quoi bon de telles familiarités avec… le décor ?

   Incontestablement, en termes d’égo, le PRAG détestable domine le débat : face à lui deviendrait presque frêle le narcissisme du Maître de conférences prétentieux, alors que ma Maître de conférences préférée – mais elle le vaut bien – et Moi-même – je le vaux bien aussi –, passerions presque pour modestes.

   Détestant tout et tout le monde, au point même, quelquefois, de leur refuser le droit d’exister en tant qu’identités propres, vous imaginez alors ô combien est grande sa déconsidération à l’égard de ses étudiants.    A vrai dire, non – vous n’imaginez pas.
   Dénués d’intelligence comme de la moindre jugeote, ils seraient bien incapables de réussir un quelconque examen si le par-cœur, partenaire d’un bachotage acharné, ne leur permettait point de feindre, quoique pitoyablement, la compréhension de quelque leçon. Inutile alors de tenter, auprès de ces incapables paresseux, l’inculcation véritable du Savoir, et encore moins de l’Excellence, lesquels ensembles précités se trouveraient, sans doute et aussitôt, détruits au contact de la médiocrité.
   Comme me l’avouait notre plaisant ami, « espérer qu’ils comprissent les fondements les plus simples d’une discipline était déjà, bien évidemment, trop demander ».
   Rapportés à l’ampleur de sa pensée, ces propos constituaient, indubitablement, de doux euphémismes.

   Ainsi donc s’achève notre présentation du PRAG détestable, au sujet duquel je sus, dès notre première rencontre, qu’il s’agissait d’un être formidable, dont la présence exquise était en mesure d’apporter le plus grand contentement.
   Osons le dire : le PRAG détestable rend le monde plus beau.

   Pr. Fourbe

jeudi 15 octobre 2015

L'altruisme n'existe pas, par le Pr. Fourbe


   Bonjour à tous,

   Il serait mentir que de prétendre n’avoir jamais eu la moindre once d’espoir en l’humanité. Je fus bien sûr, comme chacun d’entre nous, un enfant – jeune et crédule, ignorant et rêveur –, et j’y crus un instant. Telle croyance est évidemment révolue depuis fort longtemps. 
   En conséquence, la perception auditive d’inepties vantant la charité de l’Homme, estimant même ce dernier comme « bon » m’a toujours rendu malade. Et, je l’avoue, terriblement amer. 
   Ne faisant aucune exception à la règle, j’ouvrai ainsi de grands yeux, alors que je me trouvais dans mon bureau, en entendant, la conviction dans la voix, le regard pétillant de croyance, un collègue vanter l’altruisme exceptionnel de ces merveilleux êtres appelés humains.

   Il n’en fallait d’ailleurs guère davantage, ce matin, pour je régurgitasse mon chocolat. Je vous le dis tout net : nous avons frôlé la catastrophe – il n’aurait plus manqué que mon breuvage brûlant se rependît sur le bureau, damasquinant au passage, tant copieusement que fortuitement, l’exemplaire, impeccable en dépit de son âge respectable, d’un brillant ouvrage paru en 1776.    
   Je me levai et claquai la porte, me séparant ainsi des hallucinations ahurissantes – voire probablement contagieuses – émises par ce collègue que je pensais pourtant sain d’esprit.

   En effet, il était absolument inconcevable à mes yeux – pour ne pas dire mensonger – qu’existât, en un esprit humain normal, autre pensée que l’égoïsme pur. L’inverse me semblait rigoureusement effarant. 
   A vrai dire, les fondements et préceptes d’une telle théorie de l’égoïsme patientaient déjà en moi depuis fort longtemps : quoi que nous fissions, nous ne cherchassions jamais que notre satisfaction propre, personnelle, dans quelque pensée parfaitement égotiste.

   Transposée au présent, la règle reste la même : chacun de nos agissement n’est calculé qu’en vertu d’une satisfaction devant en résulter. 
   Quel qu’il soit, nous ne faisons chaque geste que pour nous-mêmes, en dépit, parfois, des apparences, lesquelles revêtent souvent les attributs du trompeur.

   Ne croyez pas, lorsque nous donnons une pièce à un nécessiteux, que notre but réel est de lui apporter une aide : il est, en vérité, de nous procurer le plaisir de lui fournir cette aide – satisfaction de secourir, d’une part, satisfaction, d’autre part, d’être reconnu comme l’ayant fait. Apaiser la souffrance d’autrui est un moyen d’éradiquer la nôtre, laquelle naît d’une empathie que nous n’avons pu réprimer. Accessoirement, nous nous donnons bonne conscience.

   Autrement dit, ce n’est guère le malheur ou le tourment d’autrui qui nous gêne, mais le fait qu’il nous gêne – provoqué par cette fameuse empathie –, et nous pousse à agir. 
   Notre titre accrocheur se montre ainsi inexact : l’altruisme existe, mais tout altruisme est intéressé.

   Ainsi, que nous nous efforçassions de corriger les fléaux frappant autrui n’était toujours que le souhait qu’ils n’affectassent plus notre propre expérience.

   La charité n’existait donc qu’aux fins de nous apaiser nous-mêmes, et chacun de nos actes ne suivait jamais que ce but. Donner n’était invariablement qu’un habile moyen de recevoir. 
   Etait-ce pour autant un problème ? Ma foi, non. 
   L’altruisme est fourberie – et c’est sans doute sa plus belle création.


    Pr. Fourbe

samedi 3 octobre 2015

Le Maître de conférences fainéant

   Bonjour à tous,

   Inutile de vous faire part de ma surprise en découvrant, au sein de mon université, un enseignant de la nature du Maître de conférences fainéant. En effet, il me semblait surréaliste qu’un tel défenseur de l’oisiveté fût arrivé à occuper une pareille fonction, tant les efforts, pour y parvenir, sont de grande ampleur. 
   Je tenais donc à savoir par quel prodige, et dans quel but, pût-il être tortueux, notre homme se trouvait parmi nous, ainsi membre de la "grande famille des enseignants-chercheurs" – en tout cas, nous autres Professeurs savons l’appeler ainsi en période d’élections.

   En conversant quelque peu avec l’individu à la sortie d’un cours – lui professant, bien entendu, dans un amphithéâtre plus modeste –, je menai habilement l’échange – mais qui en doutait… ? – pour l’orienter vers le sujet souhaité. Tapi derrière un demi-sourire de glace – inspirez-vous allégrement de Stéphane Bern, sa compétence en la matière est remarquable – j’appris alors rapidement, certes déguisée, la terrible vérité : ce n’était que dans cet objectif affreux de « travailler trois jours par semaine » que le Maître de conférences fainéant avait rejoint nos rangs.

   Fallait-il ainsi que ses considérations répudiassent à ce point toute sa volonté passée… ? Ou alors considérait-il avoir atteint l’Excellence – subjective, rappelez-vous.
   L’idée m’effleura brièvement l’esprit, à l’instant où la lecture d’une brillante copie débutant par : « Adam Smith, en bon mercantiliste… », provoquait – du moins le devinai-je, le phénomène ci-après étant fréquent – un certain agrandissement de mes pupilles choquées. Tiens donc. 
   Oui, oui, bien sûr. 
   Non !

   J’eusse aimé qu’il ne m’avouât pas pareil crime, lequel ne fait définitivement pas honneur à notre humble profession, pour laquelle la dévotion à l’Excellence ne saurait être optionnelle.
   Au terme de notre échange, je comprenais néanmoins pourquoi il était apprécié de ses étudiants puisque, tout comme eux, il répudiait le goût de l’effort.
   A la différence des derniers cités que lui, antérieurement à son jugement, savait au moins, un tant soit peu, de quoi il parlait.


   Pr. Fourbe